Devlog6 - Système (1/2)

Quand j'écris des jeux le moment où je commence à reflechir au système vient très tôt. J'ai lu beaucoup de créateurs et créatrices considérer les mécaniques de jeu comme accessoires, voire comme un mauvais moment à passer. L'important c'est l'histoire qu'on va jouer, le contexte, l'univers dans lequel on invite le reste du groupe. Ce n'est pas mon approche. Je n'écris pas un jeu seulement pour raconter une histoire ou proposer de vivre une situation donnée. Préparer une partie pour un jeu existant ou écrire un scénario suffit largement pour ça. Concevoir un nouveau jeu c'explorer la réponse à des questions que je me pose. C'est aussi codifier une façon de jouer, articulée autour de mécaniques de jeu que je trouve intéressantes et plaisantes à utiliser. Dans De Mauvais Rêves je me suis interrogé sur les liens qui unissent parfois les membres d'une même famille et la façon dont ils permettent de dépasser les difficultés. Pour ce jeu, il me fallait un moyen de générer des tensions, un moyen de les apaiser et mettre en place des circonstances permettant de le faire. Le système prend en charge ces liens et leur évolution pour que nous puissions jouer avec, pour que nous puissions nous concentrer sur notre créativité et les émotions que la partie génère. 

Pour concevoir, adapter ou même choisir un système pour son jeu il faut éclaircir deux points importants : qu'est-ce qu'un système de jeu et qu'est-ce qu'on attend de ce système. Un point de vue répandu dit qu'un système de jeu est l'ensemble des règles du jeu par opposition à la partie univers des livres de jdr. On attend de lui qu'il s'efface pour ne pas interrompre le dialogue entre MJ et joueurs quand ils se concentrent sur la fiction. S'il peut en plus répondre au style qu'on veut donner à la partie, c'est encore mieux (on parle souvent de système héroïque ou mortel). Vous vous doutez surement que ce n'est pas ce que je recherche ici. 

De mon point de vue et dans le cadre qui nous intéresse ici, le système de jeu est l'alliance des mécaniques de jeu, des règles non-mécaniques et du dispositif de jeu. Le système est l'ensemble des propositions fixées par un jeu qui nous permettent d'en organiser une partie. Une mécanique de jeu est une procedure pour réaliser telle ou telle type d'action dans une partie (D&D utilise une procédure très codifiée pour savoir dans quel ordre vont agir les participants à un combat depuis le jet d'initiative jusqu'aux exceptions qui peuvent en changer le résultat au cours du la scène). Une règle non-mécanique est une vérité sur le jeu qui est énoncée dans ses règles (toujours dans D&D il existe un certain nombre de dimensions parallèles ou plans et le jeu définit quelles créatures extérieures viennent de quels plans). J'appelle "dispositif de jeu" les règles qui définissent l'organisation des parties (dans D&D, il y a un MJ qui prépare ou improvise un scénario, dont les rôles sont définis dans le jeu et des joueurs, on utilise des dés etc...).

Dans ce billet nous allons essentiellement parler mécaniques de jeu. Les règles non-mécaniques et le dispositif de jeu ont déjà été évoquées et nous y reviendront plus tard. Nous allons nous concentrer sur une mécanique particulière, la mécanique de résolution au coeur du système, et la façon dont elle interagit avec d'autres éléments mécaniques (comme les traits de personnage évoqués dans le billet précédent). 

Il me reste à évoquer la deuxième questions : qu'est-ce que j'attend du système de Radio Ciel Vert ? En premier lieu et c'est le point le plus important qui invalidera peut être chacun des choix de système faits jusque là lors des playtest : le système doit permettre d'entrer en synergie avec la promesse du jeu. C'est à dire que le système doit non seulement permettre mais compléter et encourager la promesse du jeu. Je ne vous cacherais pas que c'est un objectif ambitieux et très subjectif. On se contente souvent d'un système qui n'est pas antagoniste de la promesse du jeu : il fonctionne et permet de répondre à la promesse pendant les parties. J'avais parlé de ces notions de synergie et d'antagonismes dans une conférence pour Jdridée, le bagage rôliste mais du point de vue des interactions entre nos façons de jouer et les systèmes, plutôt que de l'interaction système-promesse. Comme nos façons de jouer dépendent de notre compréhension de la promesse du jeu, je pense qu'un certain nombre d'éléments s'appliquent toujours. 

Quelques mois avant la conception de Radio Ciel Vert, je travaillais sur les Chemins du Monde, un jeu dans lequel on joue les membres d'une communauté humaine réfugiée dans un bunker hitech qui décident d'en sortir après plusieurs générations, longtemps après l'apocalypse, pour reprendre contact avec le monde et les autres survivants. Ce projet a donné lieu à une partie test assez mémorable et vraiment enthousiasmante. Si RCV a pris la priorité pour de nombreuses raisons, ce projet n'est pas du tout abandonné, et je le developperai certainement dans les années à venir. Pour les tests de RCV j'ai repris le système développé pour les Chemins du Monde, en modifiant un certain nombre d'éléments (les personnages ne sont pas définis de la même manière par exemple, les CdM utilise des cartes, alors que RCV utilise des dés, etc.). 

Mes attentes systèmiques obéissent à plusieurs grands principes.

Premier principe : c'est celui qui subit qui décide

En tant que concepteur, je me nourris de conversations, de lectures, d'écoutes et de reflexions pour penser mes jeux. Depuis 2014, j'anime un podcast dans lequel nous parlons de jdr avec mes coanimateurs et coanimatrices. J'ai eu l'occasion de rencontrer des gens formidables, qui ont eu une forte influence sur ma vision du jdr et ma façon de le pratiquer. C'est Eugénie Bidet, du blog Je ne suis pas MJ mais... que vous avez aussi pu découvrir dans des films comme les éditions Dystopia, le Stand des Courants Alternatifs ou autrefois chez 2d6 + Cool, qui m'a un jour exposé le principe que m'a le plus inspiré pour ce système (Coeur avec les doigts sur toi copine). Cela tenait en une phrase bien sentie : "C'est celui qui subit qui décide". En jdr, la plupart du temps, lorsqu'un ennemi attaque votre personnage, c'est le MJ ou les règles qui vont vous dire ce qui lui arrive. Vous n'avez pas la liberté de dire "alors il me flanque un coup de griffe dans le mollet je pousse un hurlement strident et je perds deux pv". Pourtant on peut renverser les choses, Eugénie nous propose dans des billets comme "jouer l'impact" des techniques pour reprendre en quelque sorte les rennes de notre personnage. Cette idée de laisser le choix à la personne qui subit une action de décrire son issue est quelque chose résonne beaucoup avec le décalage que j'avais voulu dans De Mauvais Rêves. Dans ce jeu, les jets de dés ne décident pas si un PJ franchit l'obstacle qui l'empêche d'accomplir ce qu'il veut, mais plutôt comment cet obstacle l'affecte (sous la forme de jetons cauchemars). Quand un personnage agit ou subit une action, la personne qui le joue décide de la conclusion de l'action. Ce qui signifie que l'enjeu de la mécanique de résolution ne peut pas être la réussite ou l'échec de l'action. Pour CdM/RCV, je veux partir sur une idée proche, lorsqu'on fera appel au système de résolution, l'enjeu ne sera pas la réussite de l'action, mais plutôt ce qu'elle coûte au personnage. Lorsque quelque chose affecte le personnage, c'est le joueur ou la joueuse qui le dirige qui décide de l'issue. En cas de conflit entre deux personnages, c'est le personnage qui en subit les conséquences qui décide.

Prenons par exemple le cas d'une situation où le personnage est acteur : s'il essaye de convaincre un PNJ de lui parler d'une affaire sensible, c'est le joueur ou la joueuse de ce personnage qui va décider si ce PNJ accepte (et peut être de ce qu'il va dire, mais c'est un autre sujet). Dans le cas d'une situation où le personnage n'est pas acteur mais la cible de l'échange, par exemple si un PNJ veut lui casser la gueule, c'est encore une fois à la personne qui dirige le PJ de décider si il y arrive ou pas.

Deuxième principe : choix et conséquences

En jeu de rôle les choix des joueurs et des joueuses doivent avoir des conséquences intéressantes. Dans un système classique nous conseillons souvent de n'enclencher une mécanique de jeu que si le succès et l'échec apportent quelque chose au jeu. Faire un jet de crochetage alors que l'échec dit simplement que la porte ne s'ouvre pas n'est pas intéressant. Attaquer une cible et rater pendant un combat de warhammer est rapidement lassant, au moins en ce qui me concerne. Pour que notre système apporte quelque chose au jeu à chaque fois qu'il est utilisé, il faut qu'il existe des conséquences aux choix qui sont faits lors de son utilisation. Dans le premier principe, le choix de la réussite ou de l'échec est laissé libre et a des conséquences dans la fiction. Mais si on en reste là, pourquoi interrompre la narration en lançant une procédure qui sera presque dans tous les cas plus lente d'une simple déclaration ? Puisque le système ne permet pas de trancher entre réussite et échec, il doit apporter autre chose. 

Il s'agit ici de mesurer l'impact de l'action pour le personnage, un impact qui ne soit pas lié à la réussite ou l'échec mais reflete la variété de nos réactions à différentes situations. Dans le système des Chemins du Monde, un tirage de carte permet au personnage de gagner des états négatifs, positifs et de conserver ou perdre un trait mis en jeu lors d'une action. Pour les playtests de Radio Ciel Vert je n'ai conservé pour le moment que l'idée de mise d'un trait qui sera ou non conservé selon le jet de dé réalisé. Les deux systèmes fonctionnent plutôt bien et comme RCV présente d'autres éléments de complexité, simplifier la procédure de résolution m'a paru pertinent. Mais il faudra tester le système d'état pour voir s'il apporte autre chose que des mots clefs supplémentaires à prendre en compte.

Reprenons les exemples précédents : un personnage tente de convaincre un PNJ de parler.  sa joueuse a mis en jeu un trait de réputation "digne de confiance" pour cette action. Elle décide que le PNJ révèlera ce qu'il sait. Le resultat du jet de dé déterminera si le personnage conserve son trait "digne de confiance" ou si il le perd pour le reste de la partie. En cas de perte on peut imaginer que le personnage se sent un peu coupable d'abuser de son image, que des témoins l'ont vu faire pression, ou qu'il a épuisé ses ressources de patience. Deuxième cas : un PNJ veut casser la gueule d'un PJ. Face à la situation la joueuse décide de miser un trait de maitrise "encaisser". La joueuse décide si le coup porte ou pas, si son personnage est blessé ou pas. Le jet de dé nous dira si le personnage conserve son trait encaisser ou le perd pour le reste de la partie. En cas de perte du trait on peut interpréter de diverses manières : la blessure est plus grave qu'on pensait, le personnage n'a plus aucune envie de se retrouver dans une confrontation physique, ou il est simplement épuissé de toute cette violence. 

Rendez vous demain pour parler du troisième principe et de la façon dont ces principes s'articulent pour former un système !


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